Echos de la Butte Rouge n° 7

Sommaire

Editorial

La mémoire des lieux

La naissance et la mort marquent le début et la fin de notre existence humaine. Deux événements qui donnent lieu à des inscriptions en des temps et des espaces propres à toute personne, dans une géographie sensible de traces et de souvenirs.
Dans cette infolettre, vous allez découvrir que la Butte Rouge est un lieu de mémoire. Lieu de naissance pour certaines personnes, lieu de commémoration de résistants, lieu où de nombreux noms de rues rendent hommages aux militants, artistes et précurseurs, tel l’anthropologue Robert Hertz, qui nous ont légué tout un maillage d’humanité.

Prendre soin de la mémoire des lieux nous inscrit dans une lignée qui nous ancre pour aller de l’avant. Faire fi de cette mémoire nous laisse, au contraire, orphelins. Dans tous les cas, la mémoire des lieux persiste et se rappelle d’autant plus à l’existence qu’on tente de la faire oublier. Annihilée, la cité-jardin de la Butte Rouge pourrait nous hanter, tandis que régénérée elle nous enchanterait comme elle l’a fait jusqu’à présent pour ses habitantes et habitants. C’est un choix qu’il faudra assumer vis-à-vis des générations futures, en particulier les enfants dont les noms viennent d’être inscrits sur l’arbre des naissances, installé place Jean-Allemane.

L’association Châtenay Patrimoine Environnement

Lieux de naissance

« Je suis né ici, à la Butte Rouge, dans ce même appartement où je vis toujours », relate un habitant de la rue Robert-Hertz. « Je me souviens de la naissance de ma petite sœur, juste après la guerre. La sage-femme a aidé ma mère à accoucher dans le salon de notre appartement, rue Charles-Longuet. J’ai découvert ma petite sœur en pleine nuit. Après, mon frère, mon autre sœur et moi avions été pris en charge par des voisines le temps que notre mère et le nouveau-né reçoivent les soins. Les immeubles n’avaient que deux ou trois étages, il y avait une solidarité extraordinaire à l’époque », se remémore une ancienne habitante.

La Butte Rouge est non seulement un lieu de résidence, c’est aussi un lieu de naissance pour de nombreuses personnes, un lieu d’origine qui continue à accueillir de nouvelles citoyennes et de nouveaux citoyens chaque année. Dès la conception, le projet de la cité-jardin est effectivement de construire des logements modernes pour les familles à revenus modestes, mais aussi de construire un véritable lieu de vie partagé. De nombreux commerces, dont un magasin de layette, ainsi que des services de proximité ont été installés le long de la rue Albert-Thomas. Le dispensaire municipal Anne-Noury situé rue Benoît-Malon faisait partie d’une panoplie de services aussi bien médicaux que sociaux. Les mères y trouvaient des conseils de puériculture et pouvaient amener leurs nourrissons en consultation. En témoigne cette image datant de 1939, découpée par une habitante pour son album familial, ainsi qu’une photo montrant à quel point la rue était un lieu de socialisation pour les adultes et les enfants.

Ainsi, l’éducation des locataires faisait véritablement partie du mandat d’origine du logement social, à une époque où sévissaient des maladies comme la tuberculose, et où la guerre avait causé la perte de très nombreuses vies. Si ces préoccupations peuvent nous sembler éloignées aujourd’hui, la Butte Rouge continue à nous rappeler cette nécessité vitale : tout projet de construction se doit d’étudier ses impacts sur les conditions de vie et la santé des prochaines générations. Dans quel monde allons-nous accueillir les bébés qui naîtront ?

Rue Robert Hertz

Avec la rue Robert-Hertz, la cité-jardin de la Butte Rouge honore l’anthropologue du même nom. Né en 1881 à Saint-Cloud et tué à la guerre le 13 avril 1915 à Marchéville près de Verdun, Hertz a légué une œuvre influente malgré sa disparition précoce. Élève prometteur des célèbres socio-anthropologues Marcel Mauss et Émile Durkheim*, il a montré dans ses travaux que tout ordre social repose sur la capacité humaine à produire un ordre symbolique inscrit dans l’expérience du concret. Dans une étude célèbre, il analyse ainsi la prééminence que maintes cultures accordent à la main droite sur la main gauche. C’est cette même polarité, associée à une hiérarchie des valeurs, que nous retrouvons dans de nombreuses autres classifications, par exemple entre le masculin et le féminin, ou encore le sacré et le profane.

Hertz est parmi les premiers penseurs à démontrer que la pensée symbolique est ce qui permet de faire société. Fervent socialiste – un pan de sa personnalité qui lui donna toute sa place à la Butte Rouge – il fut aussi le fondateur d’un groupe de réflexion qui s’exprima dans Les Cahiers du socialiste pour nourrir l’action par la science. « Une collectivité libérée et prévoyante s’efforcera de mettre mieux en valeur les énergies qui dorment dans notre côté gauche et notre hémisphère droit et d’assurer, par une culture convenable, un développement plus harmonieux de l’organisme », conclut-il dans son étude sur la prééminence de la main droite. Proposition originale qui tranche avec la tendance politique actuelle à cliver entre les extrêmes en faveur d’une régression de la pensée et d’un renforcement vertigineux des inégalités.

Hertz consacra également des études aux rituels funéraires, montrant là encore que le traitement symbolique de phénomènes universels, comme la naissance et la mort, est ce qui permet de faire monde. Autrefois, il était de coutume de planter un arbre pour chaque nouvelle naissance, voire d’enterrer le placenta, en prenant soin de bien individuer ainsi tout nouveau membre de la société. À l’inverse, l’absence de funérailles et de sépultures individuelles pour les nombreux soldats disparus sur les champs de bataille ne peut être compensée par les inscriptions collectives de leurs noms sur des monuments commémoratifs. L’inscription collective est le signe d’une disparition traumatique.

* Voir Echos de la Butte Rouge n° 3

Actualités

L’avenir de la Butte Rouge se joue désormais au Conseil d’État

Le classement au rabais de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry permettra de détruire 50% de la Cité-jardin, tout en ne protégeant que partiellement les 50% restants : des associations locales et nationales ont déposé un recours au Conseil d’État contre un arrêté de classement partiel en Site Patrimonial Remarquable (SPR) promulgué par Madame Rachida Dati.

Communiqué de presse du 20 août 2024

Bonus

20 ans, la Butte et Nous

Il y a trois ans, trois amis danseurs Châtenaisiens d’une vingtaine d’années s’approprient l’espace de la cité-jardin de la Butte Rouge . Parfois dans les limites d’un couvre-feu, et souvent masqué, avoir 20 ans signifie également avoir conscience d’enjeux sociaux relatifs à son environnement. La Butte Rouge, menacée de destruction, devient pendant 3 minutes 30 une grande piste de danse..

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