L’éphémère et l’éternel
Ephémère et éternel : quoi de plus éloigné à première vue ? Ephémère comme la neige qui tombe, recouvre la terre, puis fond et disparaît sans laisser de traces. Éternel comme ce qui demeure, commémore l’ancestral, le sacré, le plus grand que soi.
Cette infolettre vous invite à regarder par-delà les apparences. La terre peut sembler morte en hiver, mais dans la terre dorment les semences des autres saisons. Les arbres ont perdu leurs feuilles, mais le temps venu, celles-ci repousseront. La neige enveloppe, ensevelit et met au repos, l’hibernation est une traversée en vue du printemps, vers une renaissance irrépressible. La neige tombe, le soleil réchauffe, l’eau coule, tout change, sauf le changement. Il n’est pas temps encore. Il faut tout d’abord traverser ce temps de latence, lui seul permet un retour à la vie. Silence, immobilité, sommeil, autant de phases nécessaires à la régénération.
Profitons de ce temps pour imaginer le renouveau de la Butte Rouge, en prenant soin de ce qui doit demeurer, à savoir l’esprit des lieux.
L’association Châtenay Patrimoine Environnement
Neige
« Durant mon enfance, on avait de la neige pendant trois semaines ou un mois, on avait de grandes luges et on pouvait aussi faire du ski de fond dans la forêt. Dans les douves des forts du bois de Verrières, lorsqu’il avait gelé, on allait faire du patin à glace. Une année en mai 1946, il a neigé toute la nuit, le lendemain il faisait très beau et dans la forêt, les branches de sapins ployaient sous le poids de la neige, c’était inoubliable » raconte Jean-Claude, habitant de la Butte Rouge depuis toujours. Même si la guerre n’était pas loin, les cris d’enfants résonnaient dans la cité-jardin et une joie communicative se répandait dans l’air pur et froid.
A l’heure du réchauffement climatique, l’époque où le terrain préservé de la Butte Rouge était propice aux jeux d’hiver, peut ressembler à de la neige d’hier. C’est une raison de plus pour préserver l’oeuvre originale de la Butte Rouge, car elle témoigne d’un ancrage profond dans les lieux et les saisons pour répondre aux besoins de liberté et de convivialité des enfants comme des adultes.
L’hiver est une saison où la nature entre en sommeil pour se ressourcer et renaître au printemps. Elle nous invite à ralentir le rythme, à profiter de ce temps de latence et de réflexion nécessaire à la germination comme à la prise de décision.
Le temps des glissades en luges semble bel et bien terminé, et la Butte Rouge est entrée dans un hiver sans fin depuis que les logements et les jardins ne sont plus entretenus. Gardons l’espérance et profitons de ce temps d’inertie pour rêver l’avenir de cette cité d’avant-garde et ouvrir notre imaginaire à une réhabilitation qui respecte l’oeuvre globale et les enjeux de notre époque. La Butte Rouge est un véritable antidote aux aménagements hors-sol qui aggravent les dérèglements écologiques parce qu’ils poursuivent une façon de faire monde qui ne sait pas préserver les conditions pour que la vie se renouvelle. Après les luges, le déluge ? Il est encore temps pour renouer avec l’esprit des lieux et celui des visionnaires qui l’ont fait exister, au bénéfice des familles pour lesquelles la vie n’était pas un rêve tous les jours.
Éternité
Située à une des extrémités de la Butte Rouge, l’église Sainte Marie-St Marc fut édifiée en 1965, dans le cadre de l’agrandissement et de l’aménagement de la Butte Rouge par l’agence d’architecture de Pierre Sirvin. En 1975, le tournage du film « L’année sainte » de Jean Girault, avec Jean Gabin et Jean-Claude Brialy, s’y déroula. « Lors de la dernière scène, toute la Butte Rouge était venue assister au tournage sur les lieux de l’église », relate un ancien habitant de la cité-jardin.
L’architecture sacrée se signale par un volume très original, en forme d’arche. À l’intérieur sa charpente se déploie en coque de bateau inversée avec un mouvement ascendant marqué. Ce bâtiment religieux, unique à la Butte Rouge, se marie harmonieusement avec les courbes et les volumes propres à la cité-jardin, en alliant sobriété et audace architecturale. À l’origine paroisse catholique Ste Monique, l’église est dédiée au culte orthodoxe copte depuis 1995, une iconostase de bois précieux a été installée à l’intérieur.
Une église est un lieu consacré pour la célébration des sacrements et la prière. Lien entre ciel et terre, le clocher, la flèche de l’église, relie les plans horizontaux et verticaux, les humains et le divin. Dans de nombreuses cultures, le culte des ancêtres remplissait une fonction similaire. La vénération des arbres sacrés, attestée partout dans le monde, témoigne de ce même besoin de se tourner vers plus grand que soi, à la recherche d’éternité au sein d’espaces inaliénables. La longévité exceptionnelle des ifs rythme encore nos cimetières et le sapin de Noël demeure un arbre de vie au moment du solstice d’hiver. Dans la Butte Rouge, le vénérable robinier faux-acacia qui flanque l’église est un véritable arbre tutélaire. Son âge est estimé à au moins 300 ans.
Autrefois, les projets humains s’inscrivaient dans une temporalité dont l’échelle se mesurait à l’aune du ciel, des arbres et des mythes et récits de la Création. Au moment où le soleil culmine au plus bas de l’horizon, il est temps de se rappeler que la Butte Rouge est le fruit de décideurs qui avaient encore une vision qui transcende les désirs immédiats, dans l’intérêt supérieur de la vie, pour la pérennité du bien vivre ensemble.
Hertz est parmi les premiers penseurs à démontrer que la pensée symbolique est ce qui permet de faire société. Fervent socialiste – un pan de sa personnalité qui lui donna toute sa place à la Butte Rouge – il fut aussi le fondateur d’un groupe de réflexion qui s’exprima dans Les Cahiers du socialiste pour nourrir l’action par la science. « Une collectivité libérée et prévoyante s’efforcera de mettre mieux en valeur les énergies qui dorment dans notre côté gauche et notre hémisphère droit et d’assurer, par une culture convenable, un développement plus harmonieux de l’organisme », conclut-il dans son étude sur la prééminence de la main droite. Proposition originale qui tranche avec la tendance politique actuelle à cliver entre les extrêmes en faveur d’une régression de la pensée et d’un renforcement vertigineux des inégalités.
Hertz consacra également des études aux rituels funéraires, montrant là encore que le traitement symbolique de phénomènes universels, comme la naissance et la mort, est ce qui permet de faire monde. Autrefois, il était de coutume de planter un arbre pour chaque nouvelle naissance, voire d’enterrer le placenta, en prenant soin de bien individuer ainsi tout nouveau membre de la société. À l’inverse, l’absence de funérailles et de sépultures individuelles pour les nombreux soldats disparus sur les champs de bataille ne peut être compensée par les inscriptions collectives de leurs noms sur des monuments commémoratifs. L’inscription collective est le signe d’une disparition traumatique.
Actualités
L’avenir de la Butte Rouge se joue désormais au Conseil d’État.
Le classement au rabais de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry permettra de détruire 50% de la Cité-jardin, tout en ne protégeant que partiellement les 50% restants : des associations locales et nationales ont déposé un recours au Conseil d’État contre un arrêté de classement partiel en Site Patrimonial Remarquable (SPR) promulgué par Madame Rachida Dati.
Bonus
DES ARBRES, UN PAYSAGISTE, DES ARCHITECTES
Cliquez ci-dessous pour lire un bref inventaire du patrimoine que
constituent les arbres de la Butte Rouge, par un spécialiste de
l’association ARBRES.
L’association ARBRES a apporté officiellement son soutien à
l’Association Châtenay Patrimoine Environnement dans son action
de protection et de sauvegarde de l’ensemble arboré de la cité-
jardins de la Butte Rouge.