Visions du monde
Pour démarrer la nouvelle année 2025 en pleine forme, nous vous invitons à faire un plongeon dans l’histoire de La Piscine de la Butte Rouge.
Première piscine municipale construite en « banlieue Sud » entre les deux guerres, La Piscine fut transformée en théâtre à la fin des années 1970. Or, qu’il y a t-il de commun entre faire des longueurs dans un bassin et aller voir un spectacle après une bonne semaine de travail ? L’infolettre 9 que vous vous apprêtez à lire répond : une certaine vision du monde que ce lieu emblématique a cultivé à deux reprises de façon très différente, sans jamais perdre de vue l’importance du souci de soi pour prendre bien soin de l’autre.
L’association Châtenay Patrimoine Environnement
La Piscine
« La Butte Rouge, c’était la campagne, mais on avait la piscine ; avec l’école, j’ai appris à nager à La Butte Rouge quand-même ! Puis, il y avait l’eau dans les appartements et un lieu qu’on appelait la laverie ».
De nombreux habitants soulignent le bonheur qui leur a été offert avec l’accès à l’eau, un droit fondamental amplifié par la présence de plusieurs bassins et fontaines dans toute la cité-jardin. Comme l’air qui devait circuler dans les espaces intérieurs et extérieurs, l’eau était, en effet, un élément-clé dans la conception dite hygiéniste de la vie collective qu’avaient les architectes, urbanistes et paysagistes de la cité-jardin. L’établissement balnéaire dit « La Piscine » fut la première piscine publique construite en « banlieue » en 1935. Elle comportait des bains-douches et un bassin à l’image de la piscine Art nouveau de la Butte-aux-Cailles à Paris. Située en bordure de la route de Versailles, la piscine se voulait également un prolongement de l’esprit pédagogique de la cité. Elle était visible de loin avec sa grande cheminée qui faisait partie d’un système ingénieux de chaufferie grâce à l’incinération des déchets ménagers de la Butte Rouge.
Au-delà de l’hygiène, du sport et de l’infrastructure collective mis en exergue avec le modernisme de jadis, toute piscine est l’avatar d’une très ancienne mémoire aquatique. Version profane des eaux primordiales et autres fonts baptismaux, la piscine est avant tout un lieu régénérateur. De nombreux rituels du Nouvel An ou rites de passage comme les gestes symboliques qui entourent la naissance comprennent des bains purificateurs. Aussi, la géométrie rigoureuse du bassin rectangulaire et les formes épurées de l’architecture intérieure de la Piscine de la Butte Rouge étaient-elles propices pour calmer ses eaux intérieures après des journées de travail bien remplies. Chauffée grâce au recyclage, la Piscine condensait les quatre éléments – air, terre, eau, feu – qui sont à l’origine de nombreux mythes de création. Aujourd’hui transformée en théâtre, elle continue à fertiliser notre imagination pour renouveler nos rapports au monde et à la vie en société.
03 janvier 2025
Une ville se raconte
À partir des années 1979-1980, l’ancienne Piscine devint un lieu de création hors du commun avec l’installation du Théâtre du Campagnol fondé par Jean-Claude Penchenat, comédien co-fondateur, avec Ariane Mnouchkine entre autres, du Théâtre du Soleil.
Vidé de ses eaux, le grand bassin se métamorphosa en scène de répétition et d’expérimentation d’un genre théâtral nouveau. Ce fut le début du projet intitulé « Une ville se raconte », initié par un groupe d’enseignants du lycée Emmanuel Mounier pour aller à la rencontre des Châtenaisiens, en particulier des habitants et habitantes de la Butte Rouge. Plus de deux cent heures d’entretiens enregistrés ont ainsi mobilisé la mémoire sociale et les récits de vie sur l’histoire et la vie quotidienne, pour nourrir ensuite des ateliers de théâtre et des pièces originales à la croisée de la culture et de l’éducation. Soutenue par la municipalité de l’époque, « Une ville se raconte » réussit à fédérer les jeunes et les anciens, les travailleurs, les artistes, intellectuels et politiques autour d’un même élan créatif pour mettre en lumière les vicissitudes de la vie. « L’histoire de Marcelle » reste aujourd’hui une référence pour l’art de transformer le récit individuel en expression culturelle et collective.
Après avoir été un lieu de socialisation d’avant-garde, la Piscine de la Butte Rouge renoua ainsi avec la mémoire archaïque des veillées autour du feu qui ont été le creuset de l’humanité depuis la préhistoire. Qu’en reste-t-il à l’ère des smartphones et de Netflix ? Le mot « écran » désignait à l’origine le panneau installé devant le foyer de la cheminée pour moduler l’exposition à la chaleur. S’animant ensuite de peintures et de broderies féminines, il est le précurseur de la télévision et de l’écran numérique. Aujourd’hui, le petit écran nous isole les uns des autres au lieu de nous rassembler, tandis que la culture fait office d’écran de fumée pour le business et le « storytelling ». Là encore, la cité-jardin de la Butte Rouge est un lieu de mémoire pour raviver l’art de faire monde ensemble dans la liberté, l’égalité et la fraternité.
Actualités
L’avenir de la Butte Rouge se joue désormais au Conseil d’État.
Le classement au rabais de la Butte Rouge à Châtenay-Malabry permettra de détruire 50% de la Cité-jardin, tout en ne protégeant que partiellement les 50% restants : des associations locales et nationales ont déposé un recours au Conseil d’État contre un arrêté de classement partiel en Site Patrimonial Remarquable (SPR) promulgué par Madame Rachida Dati.
Bonus
Retrouvez trois vidéos sur le site d’Une ville se raconte !
Ces petits films datent de l’époque où la piscine est devenue un théâtre, et montrent combien la troupe du Théâtre du Campagnol faisait rayonner le théâtre vivant en banlieue sud.
Marche à suivre :
Cliquer sur le lien du site,
Sur la page d’ouverture cliquer sur « des séquences vidéo »,
Ensuite choisissez « La piscine », « La douche à la piscine » et/ou « Le Théâtre de la Piscine ».